Mon travailau côté des pensionnaires de la SPA
Peu de temps après le démarrage de mon mentorat avec Lisa Longo-Animal Académie, début2022, j’ai eu l’opportunité d’intégrer la SPA de Vallérargues (30) en tant que consultante en comportement canin pour entraîner et réhabiliter certains chiens émettant des comportements qualifiés d’indésirables.
Favoriser le bien être émotionnel et physique des chiens, leur offrir plus de pouvoir de décision et leur donner les compétences nécessaires pour une vie sereine en foyer sont les principales missions que je mène aux côtés des pensionnaires en prenant en compte l’individualité de chacun.
Mettre en place des plans d’actions sur mesure en s’adaptant à l’environnement «carcéral» du refuge demande beaucoup de créativité, de mise en sécurité et de constance dans les entraînements. C’est une opportunité passionnante que j’ai la chance de vivre.
Au menu du mentorat? Créativité sur son lit de réflexion.
La créativité pour sublimer les connaissances scientifiques.
Mettre en place des dispositifs pour emmener l’animal vers le comportement désiré est un cheminement absolument passionnant. Le faire avec les contraintes environnementales d’un refuge, demande de la créativité en imaginant une solution nouvelle et originale pour arriver à l’objectif final.
J’ai eu la chance d’être guidée dans ma pratique par Lisa durant mon mentorat, pour démarrer cette nouvelle activité en SPA. Elle m’a permis de pousser mes réflexions toujours plus loin, d’éviter les erreurs et de faire exploser ma créativité.
Certaines situations et individus avec lesquels j’ai travaillé au sein de la SPA m’ont demandé de réfléchir particulièrement au plan d’action que j’allais mettre en place afin de mettre mes apprenants en situation de réussite.
Je repense à Ella, aujourd’hui adoptée, qui faisait des loopings contre la grille de son box dès qu’un chien passait.
Difficile de lui apprendre à avoir les 4 pattes au sol pendant que l’on entre dans son box et/ou qu’on lui met un harnais, avec un environnement qui déclenche l’inverse de ce qu’on attend durant l’entraînement.
Le parc de détente est l’endroit où sortent les chiens pour faire leurs besoins, et passer un moment en extérieur plusieurs fois par jour.
Ce parc se trouvant juste devant son box, ces comportements «indésirables» se produisaient plusieurs fois par séance. Il fallait que je trouve une idée pour «bloquer» l’antécédent déclencheur (l’apparition d’un chien).
C’est un grand tissu tendu sur la grille du box qui mit finalement mon plan d’action en réussite: plus de comportement indésirable pendant nos séances et les comportements entraînés renforcés(4 pattes au sol, se mettre assise, me regarder en attente d’un signal).
Finalement, j’ai pu retirer le drap après quelques séances car les chiens ne la perturbaient plus.
L’entraînement avait pris de la valeur, la relation avec Ella était devenue très forte, et travailler ensemble semblait définitivement plus captivant que l’environnement autour d’elle. Ella a été adoptée rapidement grâce à la diminution des comportements qui «repoussaient» les potentiels adoptants. Le meilleur renforçateur qui soit pour moi.
Mise en réussite de l’individu: créer les conditions favorables à la réalisation d’un plan d’action.
Grâce au management d’environnement.
« La clé du changement de comportement est de changer les conditions » Dr Susan Friedman.
Le management d’environnement est le fait d’aménager et/ou modifier l’environnement au sens large (lieu, moment de la journée, outils utilisés…) afin de mettre l’animal en situation de réussite. Le management d’environnement s’inscrit dans une procédure appelée arrangement d’antécédent, c’est-à-dire, changer les antécédents (ce qui se passe avant l’émission du comportement et qui lui permet d’exister) afin de modifier le comportement cible.
Cette procédure nous vient de la «Hiérarchie de procédures de modifications comportementales » du Dr Susan Friedman, professeur émérite au département de psychologie de l’université de l’Utah, qui répertorie les procédures de modification comportementale de manière hiérarchique, de la moins invasive à la plus invasive.
Dans ces vidéos, vous verrez 2 chiens pour lesquels modifier l’environnement a été bénéfique dans le cadre des entraînements menés :
- Observons le changement comportemental de Lucky, le berger allemand une fois la vue sur l’environnement bloquée.
Lucky est réactif à ses congénères. Le fait de voir des chiens au travers de la grille est très stressant pour lui et l’empêche de s’engager dans l’entraînement.
Ce simple tissu installé à l’endroit où apparait le chien en face, lui permet de se concentrer sur l’entraînement, de diminuer son stress et me permet à moi, de lui proposer une séance de relax, puis un entraînement aux soins coopératifs.
Dans cette seconde partie de la vidéo, la position de consentement entraînée avec Lucky est : mettre les deux pattes avant sur la station et regarder devant lui ou à droite.
Si ces comportements sont émis, je lui signale mon intention : ici je lui montre mes mains, cela lui indique je vais lui toucher / pincer l’encolure (en vue d’une injection dans une prochaine phase d’entraînement)
Si Lucky reste en position durant la manipulation, alors je marque et récompense.
Si Lucky me regarde, regarde mes mains ou descend de la station, alors il est récompensé et il a le choix de revenir sur la station et reprendre la séance, ou ne pas revenir et mettre un terme à la séance.
- Ici, Voyou était un chien classé 4/4 lors d’une première évaluation comportementale post morsure.
La classification est établie par un vétérinaire comportementaliste lors d’une évaluation en clinique afin de définir le niveau «de dangerosité» du chien allant de ¼ à 4/4 (le niveau le plus haut).
J’ai choisi d’utiliser ce dispositif de trappe, mis en place par les bénévoles du refuge, afin d’être en sécurité lors de l’entraînement et préserver son bien-être émotionnel, afin de lui apprendre à porter une muselière volontairement.
Lorsque je présente la muselière à Voyou, il a le choix :
- Il entre le museau dedans, alors il est récompensé et nous continuons l’entraînement.
- Il n’avance pas la tête ou la détourne, il est récompensé et nous faisons une pause ou mettons un terme à la séance.
Aujourd’hui, grâce à un suivi médical, à l’investissement des équipes du refuge, et les entrainements que je mène avec lui, Voyou a récemment été reclassé ¾ lors de son évaluation comportementale.
Cela lui donne l’opportunité d’être à nouveau adopté !
Grâce à la transmission de compétences et connaissances.
Collaborer vers un but commun.
Le refuge a la chance de bénéficier de nombreux bénévoles très investis auprès des chiens qui leur proposent des activités diverses : promenades, soins, câlins ou jeux…
Dans le but de maintenir les acquis des chiens, la cohésion dans nos manières d’agir auprès d’eux est primordiale.
C’est pourquoi je crée des protocoles que je transmets en présentiel d’une part aux bénévoles lors d’une rencontre au sein du refuge, mais aussi sur papier, afin que chacun puisse en (re)prendre connaissance autant de fois qu’il le souhaite.
Dans ce but, le protocole comportemental à respecter pour chaque chien est affiché sur son box.
Je travaille également en collaboration avec l’équipe d’agent animalier du refuge et la direction afin d’avoir un échange et un suivi global des chiens et travailler ensemble lorsque cela est possible.
Dans ce cadre, je réalise des comptes rendus sur le travail effectué avec chaque chien reprenant leur évolution (collecte de données, détails à l’écrit), les entraînements en cours et les objectifs prévus.
Voici un exemple de graphique concernant le « stationning » de Dante, le temps durant lequel il était capable de rester assis pendant que j’ouvrais/ fermais la porte de son box.
Grâce aux entraînements
J’aimerais mettre en avant deux entraînements que je mets en pratique avec (quasiment) tous les chiens avec lesquels je travaille au sein du refuge : Le relax et le « counting game » .
- Le relax est un entraînement que j’aime qualifier d’opportuniste car il consiste à renforcer tous les comportements qui nous montrent que le chien « se détend » (bâiller, se coucher, se coucher en vache, s’étendre sur le flanc, fermer les yeux, soupirer…).
Dans la phase 1 de l’entraînement, je propose des friandises comme renforçateur.
Lorsque le relax devient fluide (le chien se couche rapidement et est capable de rester plusieurs minutes engagé dans l’entraînement du relax) alors je commencer à alterner friandises et renforçateur secondaire : des caresses par exemple ou à l’aide d’une fourchette comme nous le montre Lisa Longo avec le remarquable protocole de relaxation « The magik fork ».
La phase 2 de l’entraînement consiste donc à se passer de friandises afin d’obtenir un état de détente plus profond et sortir de « l’attente » de nourriture.
En refuge, l’environnement est extrêmement stimulant et certains chiens ont beaucoup de mal à émettre des comportements à basse énergie et à se reposer.
Pouvoir leur proposer des moments calmes où ils ont possibilité durant quelques minutes de se détendre est un bénéfice énorme pour leur organisme mais aussi au niveau comportemental.
Voici ce que j’ai pu observer :
- Les chiens entraînés au relax proposent plus de comportement à basse énergie comme s’asseoir et se coucherlors de l’entrée dans le box,que des chiens n’ayant pas suivi cet entraînement.
- Les chiens entraînés au relax font plus facilement abstraction de leur environnement durant la séance
- Ils sont plus engagés et motivés pour une séance d’entraînement après une séance de relax.
Voici également ce que les études révèlent sur le relax :
- Amélioration/ maintien de la relation avec l’humain (1)
- Baisse de la fréquence cardiaque / tension artérielle (2)
- Meilleure adaptabilité à l’environnement (3)
- Bien être du chien augmenté (émotionnel, physique, psychique) (4)
Cet entraînement permet également d’être réalisé en contact protégé, c’est-à-dire à travers les grilles des boxes ce qui est un atout non négligeable pour certains chiens « sensibles » par exemple. Le relax constitue selon moi un excellent entrainement afin de tisser une relation de confiance avec un individu « peureux » ou « réactif », mais chaque chien étant unique, il est nécessaire de toujours adapter mon plan d’action à l’individu avec lequel je collabore.
Je vous offre cette séance complète de relax avec Dante, le tout premier chien avec lequel j’ai travaillé, lorsque j’ai débuté comme consultante en comportement au sein de la SPA en juillet 2021. Il a donc une place toute particulière dans mon cœur. Dante a été adopté il y a quelques mois pour notre plus grand bonheur, aux équipes et moi-même.
Sur cette vidéo, je récompense encore avec des friandises et commence à intégrer des caresses.
- Le « counting game » est un jeu de comptage pensé par Chirag Patel, que j’ai eu l’occasion de découvrir dans la classe en ligne « face à l’environnement » donné par Lisa Longo sur Muzo +.
Le principe de cet apprentissage est simple :
A chaque nombre énoncé, une friandise est déposée au sol.
Lorsque le chien revient jusqu’à nous, il a accès à toutes les friandises au sol.
Idéalement, nous attendons que le chien démarre son retour vers nous entre « 1 » et «2 » mais le comptage peut être plus ou moins long selon la distance à laquelle se trouve le chien, la vitesse à laquelle il revient, la vitesse à laquelle nous comptons…
J’apprécie cet apprentissage par la simplicité de sa mise en place, tant pour l’humain que pour l’animal.
Les chiens apprennent généralement très vite que lorsque le comptage commence, des friandises vont être accessibles, et entament une course effrénée pour venir les manger.
En refuge, voici les points positifs qui découlent de cet apprentissage :
- Le chien apprend à revenir (rappel)
- C’est un apprentissage qui correspond à tous les chiens qu’importe leur âge, race, morphologie
- C’est un apprentissage simple, qui permet de créer un historique positif de collaboration avec l’humain
- Il est facilement transmissible aux bénévoles du refuge, les agents animaliers ou les adoptants…
Grâce à l’enrichissement de l’environnement et de leur quotidien.
Par de simples mises en place, nous pouvons significativement améliorer les conditions de vie des pensionnaires de refuge.
- L’entraînement des chiens constitue un enrichissement de leur quotidien à part entière et leur permet :
- du contact social
- de l’activité mentale
- du mouvement (se déplacer, adopter des comportements signalés…)
- L’acquisition de nouvelles compétences pour mieux vivre dans l’environnement du refuge et dans leurs futurs foyers.
- L’enrichissement alimentaire est également un merveilleux outil à utiliser en refuge qui permet :
- La possibilité au chien d’émettre des comportements liés à leur espèce : fouiller, ronger, creuser, renifler, lécher…
- D’obtenir du calme dans le refuge : les chiens occupés à leur activité alimentaire auront tendance à moins s’occuper de l’environnement autour d’eux et donc moins aboyer, sauter sur leur grilles…
- De faire « patienter » un chien : bien souvent, les « chiens spectateurs » des chiens entraînés peuvent émettre des comportements comme aboyer, sauter, chouiner, mordre leurs barreaux et amènent souvent du stress, surtout s’ils ont eux aussi un historique d’entraînement. Ces « chiens spectateurs » méritent tout autant (voire plus) d’être récompensés afin de leur permettre de mieux vivre ce moment.
- De manager l’environnement : les chiens doivent parfois passer devant les boxes ou les parcs des autres. Occuper les chiens enfermés permet de réduire considérablement la peur l’anxiété et/ou le stress de tous les individus, en limitant les déclenchements (aboiements, grognements, saut devant ou sur les grilles…)
- L’enrichissement du milieuen mettant à disposition des chiens:
- Des piscines
- Des bacs à sable
- Des jardinières de plantes non toxiques
- La mise à disposition de pièces aménagées: cuisine, salle de repos, bureaux ou salle spécifiquement aménagée pour reproduire l’intérieur d’une maison
- Des branchages…
- D’autres « aménagements » peuvent également être mis en place afin d’aider les chiens à mieux vivre dans un environnement de refuge comme :
- De la musique (particulièrement les bruits blancs, la musique classique ou relaxante)
- Des rideaux ou des brises vues afin d’occulter la vue sur l’environnement
- Des colliers aux phéromones
- Des odeurs aux propriétés « apaisantes »
- Une médication prescrite par un vétérinaire ou un vétérinaire comportementaliste…
Peut-on parler « d’empowerment », de choix pour les chiens vivants en refuge ?
Les conditions de détention des chiens en refuge les privent d’une grande partie de leur pouvoir de décision et limite également parfois la possibilité d’assouvir tous leurs besoins.
Cependant, leur offrir du choix est possible et c’est un axe auquel j’accorde une grande importance dans mes interventions.
Nous pouvons leur donner le choix d’accepter et refuser :
– Des soins
– Une activité (sortir en promenade ou non…)
– Un contact social, physique (Avec un humain, un autre animal…)
– L’utilisation de X matériel (harnais, collier, muselière…)
Pour cela, il est de notre devoir de :
-Connaître et respecter le langage corporel du chien avec lequel nous interagissons
– Lui offrir les compétences nécessaires à la prise de décision (entraînement à une position de consentement par exemple)
– Accepter les « non » que nous signale le chien …
Parfois, il arrivera, en cas d’urgence, que NOUS n’ayons pas le choix de laisser le choix au chien. Mais autant que possible, donnons-leur le pouvoir de choisir, dans des conditions de vie qu’ils n’ont pas choisies.
Avoir le choix est un renforçateur pour n’importe quel individu, et limite la peur l’anxiété et le stress. (5)
Dans cette vidéo vous pourrez voir Niltis, qui apprend à porter une muselière.
Dans la première partie de la vidéo, son langage corporel m’indique qu’il ne veut pas. Je lui laisse ce choix et il est récompensé.
Dans la seconde partie de la vidéo, son langage corporel m’indique qu’il est d’accord et enfile sa muselière.
Conclusion
Accompagner les chiens afin de les aider à mieux vivre leur séjour en refuge est une mission passionnante.
Adapter l’environnement pour les mettre en situation de réussite, s’adapter à leurs particularités et aux conditions de détention d’un refuge, leur proposer différentes activités afin d’enrichir leur quotidien et leur offrir autant de choix qu’il nous est possible de le faire, sont les axes de travail que j’explore chaque semaine, aux côtés des équipes, afin de :
– Limiter le stress, l’anxiété, la peur chez les chiens
– Faciliter les manipulations quotidiennes
– Augmenter la mise en sécurité de tous les individus
-Augmenter les chances d’adoptions
-Limiter les retours post adoptions.
Je remercie chaleureusement la SPA de Vallerargues (30) pour la confiance qu’ils m’accordent depuis plus d’un an maintenant, toute l’équipe Muzo + pour me permettre de partager cet article, mon travail au sein du refuge ; Lisa Longo pour ses encouragements et son soutien pour la rédaction de cet article ainsi que Marion, Lindsay et Sharline qui n’ont cessées de m’encourager et qui s’impatientent de pouvoir le lire.
Voici les sources et études sur lesquelles je me suis appuyée pour la rédaction de cet article ainsi que pour le travail que je fais quotidiennement au sein du refuge :
- Relax :
Effectiveness of treatments for firework fears in dogs – ScienceDirect (4)
- Enrichissement environnemental, alimentaire et contact social
foraging activity dogs – Google Scholar
food enrichment for captive animals – Google Scholar
Effects of Music Pitch and Tempo on the Behaviour of Kennelled Dogs – PMC (nih.gov)
Human interaction and cortisol: Can human contact reduce stress for shelter dogs? – ScienceDirect (1) (2)
- Choix:
The function of the illusions of control and freedom. -PsycNET (apa.org) (5)
- Entraînement :
Réponses