Un article de Lisa Longo, instructrice des cours Analyse et Modification Comportementale, Face à l’environnement et Face à soi-même
Dans mon travail de consultante en comportement animal, je privilégie toujours les méthodes d’éducation et d’apprentissage les moins intrusives et les plus agréables pour tous les apprenants, qu’ils soient mes clients, élèves ou leurs animaux de compagnie.
Lors de mes cours en ligne sur la plateforme Muzo+, je décris également les procédures les plus intrusives, aversives et/ou coercitives, leurs effets secondaires et les dangers qu’elles impliquent afin que mes élèves puissent avoir connaissance et conscience de leur façon d’agir sur le comportement.
Dans cette catégorie de procédures, deux notions sont souvent confondues : l’extinction et la punition négative.
Si ces procédures sont parfois plébiscitées par le monde de l’éducation animale, les professionnels de l’analyse appliquée du comportement (ABA – Applied Behavior Analysis) mettent toutefois en garde quant à leur utilisation.
Qu’est-ce que le conditionnement opérant ?
Il s’agit d’un type d’apprentissage où un comportement est modifié en fonction des conséquences passées intervenues à la suite de ce comportement
Le conditionnement opérant concerne les comportements qui dépendent de conséquences passées, d’expériences passées. Les réponses apportées par l’environnement modifient la forme et la fréquence du comportement d’un individu.
Les comportements qui produisent les conséquences souhaitées par l’apprenant sont répétés et ceux qui apportent une conséquence désagréable du point de vue de l’apprenant sont modifiés ou abandonnés.
Il existe plusieurs stratégies au cœur du conditionnement opérant pour modifier la fréquence d’un comportement dont le renforcement, la punition et l’extinction.
Le renforcement concerne des conséquences qui maintiennent ou augmentent la probabilité d’apparition d’un comportement.
Le terme « positif » implique l’ajout d’un stimulus après l’émission du comportement quant au terme « négatif », il fait référence au retrait d’un stimulus après l’émission du comportement.
Voici quelques exemples de stimuli qui peuvent être ajoutés ou retirés de l’environnement d’un individu après l’émission d’un comportement :
- Friandises
- Pichenette
- Jouets
- Coup de papier journal roulé
- Caresses
- Choc électrique
- Des paroles (chuchotement ou félicitations enjouées, tons agréables ou engueulades)
- Pulvérisateur d’eau
- Gamelle de nourriture
- Personnes inconnues
- Etc
Chacun de ces stimuli peut être ajouté ou retiré après un comportement.
La punition négative et l’extinction sont souvent confondues car elles ont toutes les deux la faculté de diminuer la probabilité d’apparition d’un comportement.
Définitions
Punition
La définition de ce terme en analyse du comportement est :
Une conséquence qui survient après un comportement qui réduit la probabilité que ce comportement se reproduise à l’avenir.
Punition négative
Retrait d’un stimulus après le comportement de l’animal qui en diminue la fréquence.
Extinction
La procédure d’extinction diminue la fréquence d’un comportement, précédemment renforcé, en ne le renforçant plus.
Même si la procédure est efficace pour diminuer la fréquence d’un comportement à long terme, l’effet souvent constaté au début de l’application est ce qu’on appelle un « pic d’extinction ». Le comportement de l’individu n’étant plus renforcé, ce dernier va tenter de le reproduire plus souvent, plus fréquemment, plus intensément pour obtenir une conséquence souhaitée.
Par exemple, si jusqu’à lors mon perroquet criait pour avoir mon attention (je lui demandais de se taire), je vais dorénavant complètement ignorer son comportement. Les cris, ne rencontrant plus la fonction attendue, vont se faire plus intenses, plus longs, plus rauques ou aigus. C’est le pic d’extinction.
Si l’humain craque à ce moment précis en donnant son attention (en gardant à l’esprit que « gronder » le perroquet à ce moment-là sera certainement rattaché à un renforcement positif), il aura renforcé le nouveau niveau de cris.
En d’autres termes, le perroquet aura appris à crier plus fort, plus longtemps et plus intensément. Dorénavant le niveau qui comblera la fonction « avoir l’attention de l’humain » sera plus fort, plus long et plus intense.
Si, par contre, aucun renforcement n’est prodigué durant cette période, le comportement diminuera alors rapidement par la suite.
Un autre risque de l’application de la procédure d’extinction est la résurgence d’anciens comportements.
Pour illustrer la résurgence, imaginons que je décide d’utiliser l’extinction sur les aboiements de mon chien qui ont pour fonction de me faire me lever pour le laisser sortir faire ses besoins dans le jardin. Le comportement « aboyer » pour la fonction « accès au jardin » n’étant à présent plus renforcé, le chien va chercher dans son répertoire un comportement précédemment renforcé et susceptible de combler la fonction attendue.
Mon chien pourrait donc potentiellement venir prendre mon bras dans sa gueule et le tirer jusqu’à la porte du jardin, il pourrait me sauter dessus, gratter et arracher des bouts de porte, etc.
D’autres effets, comme la récupération spontanée, qui est la réémergence du comportement cible après une procédure d’extinction, peuvent également être observés.
La punition négative et l’extinction sont deux procédés différents mais qui ont des points communs : elles sont des interventions efficaces pour modifier la fréquence d’un comportement en la diminuant mais qui ont des effets secondaires pouvant mettre en péril la santé physique et psychologique de l’apprenant ainsi que la sécurité des personnes interagissant avec.
Comprendre la distinction entre extinction et punition négative
L’extinction est souvent confondue avec la punition négative car elle implique la non-présentation d’un renforçateur. Si les deux procédés ont pour point commun de diminuer la fréquence du comportement, ils agissent différemment sur celui-ci.
Une stratégie pour définir lequel des deux opère est de se poser la question suivante :
Après le comportement cible, quelque chose a-t-il été retiré de l’environnement ou s’agit-il d’une absence de renforcement ?
Sur la prochaine vidéo, nous pouvons constater que lorsque Christophe émettait son comportement « appuyer sur la poignée et la pousser vers l’avant », il obtenait l’ouverture de la porte et l’accès à la pièce (renforcement positif).
Puis, lorsque la poignée de porte a changé de disposition et que Christophe a continué d’émettre son ancien comportement, cela a résulté en un non-renforcement (non ouverture de la porte, non accès à la pièce).
Aucun objet n’a été physiquement retiré de la scène mais le comportement qui avant rencontrait sa fonction ne la rencontre à présent plus.
Une autre manière qui peut aider à comprendre la différence entre la punition négative et l’extinction c’est de penser en termes d’évènements environnementaux.
Que ce soit le renforcement positif ou négatif ou la punition positive ou négative, il s’agit d’un évènement perceptible par l’individu concerné par le comportement dans l’environnement.
Quelque chose est “physiquement” ajouté ou retiré après le comportement cible de l’individu.
L’extinction, au contraire, est un non-évènement. La conséquence habituelle n’arrive plus après le comportement, là où avant il y avait renforcement.
Enfin, imaginer la scène qui nous fait douter, dans notre tête, sous la forme d’un film peut également nous aider. Nous savons que le comportement a diminué mais nous souhaitons vérifier si la procédure mise en place est la punition négative ou l’extinction.
On imagine le contexte au ralenti. Puis on « appuie » virtuellement sur pause dès la fin de l’émission du comportement cible.
Et on se pose la question : si je rappuie sur le bouton lecture, quelque chose sera-t-il retiré de cette scène ?
Si oui (et que le comportement cible diminue effectivement après l’intervention), c’est certainement une punition négative, si non, ce sera certainement une procédure d’extinction.
La place de l’extinction et de la punition négative dans l’éducation dite moderne, bienveillante ou positive
L’éducation positive (autrement appelée éducation bienveillante, moderne ou encore non violente) est un mouvement de propriétaires d’animaux, professionnels ou non, souhaitant limiter les applications intrusives et aversives à l’éducation des animaux.
L’un des préceptes de cette méthode d’éducation repose sur l’application du renforcement positif tant que possible.
Certaines mouvances ajoutent l’utilisation de la punition négative comme faisant parti des méthodes respectueuses envers l’animal.
Les concepts telles que l’éducation positive, bienveillante ou moderne ne sont pas des termes scientifiques. Aucune n’est reconnue dans la communauté des analystes comportementaux comme étant la méthode à suivre.
Une des raisons pour laquelle ces termes ne rentrent pas dans une idée scientifique est qu’ils peuvent être utilisés différemment d’une personne à une autre. C’est ce que l’on appelle des étiquettes. Une étiquette est une description non observable, subjective.
Ainsi, ma définition de l’éducation positive peut se baser principalement sur l’application du renforcement positif et du renforcement négatif alors que la vôtre pourrait inclure la punition négative et l’extinction, et celle de mon voisin pourrait se baser sur une éducation à base de friandises pour les bons comportements et colliers électriques pour les mauvais.
Il est alors tout à fait compréhensible que le terme “éducateur en positif” puisse compter parmi ses adhérents certains professionnels qui basent leur travail sur les applications les plus agréables pour l’animal et les moins intrusives, comme d’autres qui font usage d’aversifs régulièrement, et tout entre les deux.
Ce sur quoi nous pouvons nous reposer, ce sont les études et recherches scientifiques dans le domaine de l’analyse du comportement.
La punition est-elle coercitive ? Oui.
L’extinction est-elle délétère ? Oui.
L’utilisation de ces procédures est-elle nécessaire dans l’éducation ? Non.
Savons-nous et pouvons-nous faire mieux ? Oui.
S’étendant sur la hiérarchie d’Alberto et Troutman pour les enseignants, le Dr Susan G. Friedman, professeure de psychologie à l’Université de l’Utah, a proposé une « hiérarchie de procédures de modification comportementale » utilisant en priorité les procédures les moins intrusives et les plus agréables lors de mise en place de plan d’action visant à modifier un comportement. La punition négative et l’extinction y sont présentées au même niveau, juste en dessous de la punition positive.
Pourquoi l’extinction et la punition négative sont-elles considérées comme des méthodes aversives, intrusives et/ou délétères ?
Entre autres raisons, parce que des années de recherches ont démontré que l’utilisation de procédures de renforcement en première instance est préférable pour l’apprentissage et pour l’apprenant.
Également, ces méthodes ont des effets indésirables sur les comportements tels qu’agressivité, colère, évitement, contraste comportemental, etc.
La relation entre l’entraîneur et l’apprenant est endommagée et difficile à rebâtir.
La punition négative et l’extinction n’apprennent rien. Eventuellement, l’animal peut comprendre qu’il est dangereux ou désagréable d’émettre un comportement précis dans un contexte particulier, mais en aucun cas il n’apprend quel comportement avoir à la place.
Oui, la punition et l’extinction peuvent diminuer ou éliminer un comportement indésirable, mais sans apprendre le bon comportement à l’animal, un des risques est que celui-ci remplace son comportement indésirable par un autre qui le sera d’autant plus.
Dans le même principe, vous dire « non » si votre réponse à l’équation 4(2x-1)(3-5x)=3/4-3x² n’est pas la bonne ne vous apprendra pas à parvenir au bon résultat.
Conclusion
La punition négative et l’extinction sont deux procédés différents mais qui génèrent tous deux des effets indésirables, les plaçant dans les méthodes d’éducation intrusives et coercitives.
La punition négative implique le retrait d’un stimulus dans l’environnement après le comportement.
L’extinction est le non-renforcement d’un comportement précédemment renforcé.
L’analyse appliquée du comportement (Applied Behavior Analysis) est une approche scientifique qui étudie les comportements, les apprentissages. L’ABA fait référence à un ensemble de lois et principes fondamentaux et se concentre sur l’influence de l’environnement sur le comportement.
Si le renforcement et la punition influencent nos comportements chaque jour, lorsque nous mettons en place une stratégie visant à modifier la fréquence d’un comportement, la punition et l’extinction (utilisée sans programme de renforcement associé) devraient être des derniers recours. Et lorsqu’arrive ce dernier recours, nous ne devrions toujours pas appliquer ces procédures mais chercher de l’aide auprès de professionnels du comportement afin d’offrir un regard neuf sur le problème et éventuellement éviter de mettre le bien-être de l’animal à défaut.
En 2021, nous savons et pouvons faire mieux.
Lisa Longo, CPBT-KA, CBCC-KA
Consultante en comportement animal
Animal Académie
Merci à Laurent Keser, RBT, TAGteach niveau 1 ( https://behavior-analysis-technology.com/aba-assistant/ ) pour sa relecture.
Merci à mon mari de toujours participer (presque dans la joie et la bonne humeur) à toutes mes mises en scènes bizarres !
Références
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Azrin NH, Hutchinson RR, Hake DF. Extinction-induced aggression. J Exp Anal Behav. 1966 May;9(3):191-204. doi: 10.1901/jeab.1966.9-191. PMID: 16811286; PMCID: PMC1338179
Trump, C. E., Ayres, K. M., Quinland, K. K., & Zabala, K. A. (2020). Differential reinforcement without extinction: A review of the literature.Behavior Analysis: Research and Practice, 20(2), 94–107.
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