Ces dernières années, la préparation physique du chien a pris un tel essor que les termes « proprioception », « renforcement musculaire » ou « fitness canin » sont rentrés dans le langage courant du pratiquant divers activités canines. Ainsi, je lis souvent des échanges sur les réseaux sociaux tels que :
- Je sors de chez le vétérinaire ostéopathe qui me conseille de renforcer les postérieurs de mon chien, que faire ?
- Je te conseille de demander à ton chien de mettre les pattes sur un coussin d’équilibre
Ou encore :
- Je viens de prendre un chiot de 2 mois et je voudrais pratiquer un sport canin quand il sera grand. On me conseille de le muscler, est-ce que je peux commencer dès maintenant ?
- Oui, tu peux acheter du matériel de proprioception et lui faire faire des séances tous les jours !
Si ces échanges partent d’un bon sentiment, je réalise que les mots « proprioception » et « renforcement musculaire » ont commencé à prendre la signification erronée de “faire des tricks” ou « faire monter le chien sur des coussins gonflables », et si dans certains cas la proprioception ou le renforcement musculaire peuvent être effectivement cela, la plupart du temps, les termes ne sont pas utilisés correctement et les exercices ne répondent pas à la demande formulée ou au besoin réel du chien.
Donc avant de se lancer, définissons clairement de quoi nous parlons :
Définitions renforcement musculaire vs proprioception
Le renforcement musculaire consiste en une activité ou un programme d’entraînement visant à développer la force, la masse et/ou l’efficacité des muscles. Pour ce faire, des mouvements spécifiques sont enseignés aux chiens et répétés à un niveau de difficulté approprié, entraînant ainsi des adaptations au niveau de la structure musculaire.
À ne pas confondre avec la proprioception qui est un sens (souvent évoqué comme étant un “6ème sens”) associé à la capacité neurologique à intégrer des informations sensorielles permettant la perception consciente ou inconsciente :
- de la position (équilibre postural, stabilité articulaire, perception musculaire)
- du mouvement (vitesse, amplitude, direction)
- de la force (ressentir le poids ou la résistance à un effort)
Le système proprioceptif regroupe les récepteurs et l’ensemble des terminaisons nerveuses permettant ainsi à un individu de connaître la position et les mouvements de son propre corps sans avoir à les observer visuellement.
Mécanismes d’amélioration du muscle
Il existe principalement deux manières d’améliorer le fonctionnement d’un muscle :
Neurologique
On peut améliorer l’efficacité du système nerveux central (SNC) et périphérique (SNP) qui va alors mieux transmettre les informations aux muscles de sorte à :
- augmenter le recrutement des unités motrices : le muscle n’a pas intrinsèquement changé mais le système nerveux en active un pourcentage plus important, ce qui augmente donc la force qu’il peut déployer
- améliorer la synchronisation de l’activation et désactivation des différents muscles entre eux: les muscles ne vont pas se gêner entre eux en activant par exemple deux muscles aux fonctions opposées.
- améliorer la synchronisation de l’activation et désactivation des différents muscles par rapports aux informations de l’environnement (impact, glissade, etc.) : les muscles vont alors avoir une réponse plus efficace par rapport aux contraintes subies par le chien, sans produire d’efforts inutiles ou au contraire insuffisants.
Amélioration structurelle
Ici il s’agit d’améliorer la structure interne du muscle, en rendant le muscle plus volumineux ou plus dense en réponse à un travail physique. Il s’agit de l’hypertrophie musculaire. En augmentant la taille ou le nombre des fibres musculaires, le muscle peut alors générer plus de force.
Mais améliorer la structure peut aussi signifier changer d’autres caractéristiques structurelles du muscle en le rendant par exemple plus souple (exercices d’assouplissement), plus explosif (en mettant en place un entraînement favorisant le travail des fibres musculaires rapides), etc.
Cette amélioration structurelle est rendue possible par la pratique régulière d’activité physique (fitness canin, sports variés, etc.) mais dépend aussi de l’alimentation (croquettes, ration ménagère ou BARF avec une composition adaptée en protéines, lipides, acides gras, etc.) et de la génétique (certaines chiens sont génétiquement prédisposés à développer plus de masse musculaire).
À quel âge peut-on commencer les exercices de renforcement musculaire ?
La réponse courte à cette question est : à partir de la puberté.
En effet, si on peut mettre en place des exercices de motricité, coordination et de proprioception avec un chiot de 2 mois, il faut attendre la puberté pour commencer à mettre en place des séances de musculation. Pour comprendre la logique derrière ces recommandations, regardons de plus près comment un chien grandit.
Cartilages de croissance
Le premier concept important est le cartilage de croissance. Ces cartilages de croissances sont des zones molles qui se situent à l’extrémité des os longs des chiots et jeunes chiens. Elles contiennent des cellules qui se multiplient rapidement qui permettent aux os de s’allonger.
Ces cartilages commencent à s’affiner vers la puberté avec les changements hormonaux impliqués. Ils se ferment vers 6-8 mois pour les chiens toy et miniature et jusqu’à 14-18 mois pour les grandes races (voire plus pour les races géantes).
Ainsi, jusqu’à leur fermeture, ces cartilages sont mous et vulnérables aux chocs importants ou répétés. Ainsi, si une contrainte anormale survient (accident de voiture, chute d’une grande hauteur, se faire rentrer dedans par un chien plus grand, etc.), les cartilages de croissances peuvent être déformés. La conséquence peut être un os qui sera à l’âge adulte plus court ou abîmé, créant un angle incorrect dans l’articulation et donc toujours plus de probabilité de se blesser.
A la puberté, ces cartilages se calcifient et deviennent une partie stable de l’os, connue sous le nom de ligne épiphysaire.
Les exercices sont nécessaires à l’augmentation de la densité osseuse
Une tendance courante après avoir pris connaissance de l’existence de ces cartilages de croissance est d’éviter toute forme d’exercice chez les chiots. Or, une quantité appropriée d’exercice permet d’augmenter la densité osseuse et l’épaisseur du cartilage. On privilégie alors des mouvements naturels qu’on peut par exemple observer en milieu sauvage chez les jeunes lycaons, tels que marcher et courir, franchir des obstacles naturels peu élevés, jouer avec ses congénères (de taille similaire, attention aux chocs que le jeu avec un chien qui pèse deux, trois, dix fois le poids de votre chiot peuvent engendrer !), etc. On va donc privilégier « l’exercice libre » où le chiot va pouvoir s’arrêter s’il en ressent le besoin.
Une étude a par exemple montré que des chiots beagle qui courent 4 km/jour à une vitesse de 4 km/h sur un tapis de course incliné à 15° pendant 15 jours n’ont non seulement présenté aucun dommage au niveau du cartilage mais une augmentation de 6% de sa dureté et de 11% de son épaisseur (ce qui sont des bonnes choses).
Bref, tout est toujours une question de mesure. En cas de doute, il est toujours préférable d’en discuter avec un vétérinaire ou ostéopathe.
Influence de la puberté sur le développement musculaire
Les hormones sexuelles jouent un rôle dans la croissance de plusieurs organes, notamment dans la synthèse des protéines musculaires et dans la croissance des os longs (pattes…). Plus tard, elles inhibent la croissance linéaire de ces os.
Ainsi vers la puberté, on peut estimer que le corps du chien est plus résistant et plus apte à travailler dans des contraintes mécaniques plus élevées que pour un tout jeune chiot, mais toujours moins importantes que chez un adulte dont la croissance est complètement terminée. On retrouve en effet le double effet renforçateur de l’amincissement voire de la fermeture des cartilages de croissance ainsi que de l’augmentation de la capacité à créer de la masse musculaire.
C’est la raison pour laquelle vers 9-10 mois en moyenne (plus tôt pour les chiens de petite taille et plus tard pour les races géantes), on peut commencer à mettre en place un programme léger de renforcement musculaire.
Conseils de mise en pratique
Fréquence et durée
Le corps se transforme et se muscle pendant les phases de repos et non pas pendant les séances de travail. Le renforcement musculaire est donc plus efficace s’il est pratiqué régulièrement par séances courtes (5 min pour un chien débutant jusqu’à 15 min pour un chien confirmé en comptant les temps de pause) plutôt qu’en une seule fois avec une grosse séance : l’idéal est 3 séances par semaine.
Ainsi les exercices en eux-mêmes sont mêmes encore plus court, variant de 10 sec à 1-2 min pour environ 3 à 10 répétitions d’un même mouvement.
L’essentiel est d’observer le chien et d’arrêter les répétitions avant qu’il ne montre des signes excessifs de fatigue (altération des mouvements, halètement, ralentissement ou au contraire brusque accélération et excitation, tremblements, spasmes, etc.).
Des postures et mouvements adéquats
Pour qu’un exercice de renforcement musculaire soit efficace et ne nuise pas à la santé, il est important de veiller à ce que le chien le réalise avec une posture et des mouvements adéquats.
Il vaut donc mieux faire 3 répétitions avec le port de tête, la ligne de dos et le placement des membres et articulations souhaités que 10 répétitions où le chien commence à se mettre de travers, sortir une patte d’un côté, tourner un genou vers l’extérieur de l’autre, lever ou baisser la tête exagérément, etc. C’est finalement la même chose qu’en sport humain : faire 100 abdos en tirant sur votre cou au lieu d’engager les bons muscles risque plus de vous bloquer que de vous muscler !
L’idéal ici est de se faire accompagner par un professionnel formé en fitness canin pour vous établir un programme de base, vérifier que les mouvements sont réalisés correctement et adapter la fréquence et le nombre de répétitions à la condition physique de votre chien.
Quelques exemples
Mais alors, à quoi cela ressemble concrètement ? Avant de vous lancer dans les 3 exemples d’exercices de renforcement musculaire suivants, voici quelques conseils de sécurité :
- Entrainez-vous toujours sur un sol antidérapant
- Ces exercices sont réservés à des chiens ne présentant aucun souci de santé. Si votre chien souffre d’une pathologie ou s’est blessé, consultez un vétérinaire orthopédiste et/ou spécialisé en physiothérapie avant de vous lancer.
- Ces exercices concernent plutôt les chiens adultes. Si vous avez un chiot, commencez plutôt par un travail de proprioception ou effectuez les exercices ci-dessous avec des supports très bas et pendant peu de temps (30 secondes suffisent !)
Renforcement général
Les cavaletti au pas sont un excellent exercice de renforcement musculaire général. Ils permettent de travailler sur les muscles responsables de la flexion et stabilisation des articulations des membres et de promouvoir une meilleure harmonisation musculaire.
Commencez par enseigner à votre chien à franchir un ou deux barres à hauteur de carpe (barres à environ 5 cm du sol, mais cela va dépendre de la taille de votre chien, ce sera plus bas pour un chihuahua et plus haut pour un dogue allemand !).
Pour augmenter la difficulté, vous pourrez rajouter progressivement plus de barres pour monter jusqu’à au moins 4-6 barres et placer les barres plus hautes (à hauteur de jarret).
En termes d’espacement entre les barres, je n’ai malheureusement pas de recette magique. Ma recommandation est de les placer environ à distance de la hauteur de genou de votre chien, puis d’observer son mouvement au pas. S’il place ses deux antérieurs ou postérieurs entre chaque barre, c’est que les barres sont trop éloignées. S’il « saute » une barre en ne plaçant aucun antérieur ou postérieur, c’est que les barres sont trop proches ! Ajustez en fonction de ce que vous voyez 😉
Renforcement de l’avant-main
Le travail de gainage avec les pattes arrières surélevés est un exemple d’exercice de renforcement de l’avant-main.
En temps normal, un chien se tenant debout porte environ 60% de son poids global à l’avant et 40% à l’arrière. En l’incitant à placer ses postérieurs sur un support plus élevé, un transfert de poids se crée vers l’avant, nécessitant un engagement musculaire plus important des muscles des épaules et des coudes.
Comme toujours, commencez de manière progressive en choisissant un support bas et stable. Nourrissez votre chien dans l’axe du dos (voir ci-dessous) et ne demandez pas un maintien de position de plus de 10-20 secondes.
Au fur et à mesure de ses progrès, vous pourrez prendre un support un peu plus haut (jusqu’à la hauteur du jarret) et maintenir la position plus longtemps (je recommande de ne pas aller au-delà de 30 secondes sans le suivi et regard averti d’un instructeur en fitness canin).
Renforcement de l’arrière-main
Le pivot avec antérieurs fixes est un exercice de renforcement musculaire de l’arrière-même. Il sollicite plus particulièrement les abducteurs et adducteurs de la hanche.
Commencez par apprendre à votre chien à placer ses pattes avants sur une cible basse (hauteur de carpe au maximum) et stable (pas de coussin de fitness !). Récompensez-le à plusieurs reprises pour valoriser le fait qu’il garde ses antérieurs sur ce support.
Puis déplacez vous lentement autour de la cible pour inciter votre chien à se replacer devant vous. Observez bien ses pattes arrières, et au moindre signe de mouvement latéral ou pas de côté, récompensez votre chien :
N’hésitez pas à être généreux en félicitations, friandises et autres récompenses : ce mouvement n’est pas forcément facile pour les chiens !
Une fois les premiers mouvements effectués, vous pouvez augmenter progressivement votre déplacement autour de la cible pour que votre chien effectue plusieurs pas latéraux avant de recevoir sa friandise 😊
Lancez-vous !
Pour débuter, nous vous recommandons le cours « Façonner le Fitness Canin ». Ce cours vous enseignera les bases de l’apprentissage pour vous permettre de guider votre chien dans l’exécution des bons mouvements, tout en vous aidant à établir un premier programme de renforcement musculaire.
Si les cavaletti vous ont plu, vous aimerez aussi le webinaire « Zoom sur les cavaletti » qui vous montre un grand nombre de variantes possibles à faire avec quelques cônes et barres. Idéal pour occuper sainement votre chien avec peu d’équipement !
Sources :
(1) Âge de fermeture des cartilages de croissance http://www.provet.co.uk/health/diagnostics/growthplatedogs.htm?fbclid=IwAR0D2ykWIdL6CDhlYrevXTDeVvnDMCyJbWLT7yGpOV5PAzALOl_DPqC6AGM
(2) What is the Logic Behind Not Exercising Puppies Until the Growth Plates are Closed? – Dr Darryl Millis https://www.mylamedog.com/post/what-is-the-logic-behind-not-exercising-puppies-until-the-growth-plates-are-closed?fbclid=IwAR066d6tJKGEXLg4RjYCgy8Hm2vrg6NbQG4V3EZqX3r7u0VfWJ83Y_Zrtn8
(3) Salameri K.R., Bloomberg M.S., Scruggs S.L., Shille V., “Gonadectomy in immature dogs: effects on skeletal, physical, and behavioral development”, J. Am. Vet. Med. Assoc., 1991, Apr 1;198(7):1193-203.
Réponse : des signes de fatigue apparaissent à 0 :11 (rotation externe du postérieur gauche – signe de fatigue encore assez faible et acceptable), 0 :26 (signe de fatigue plus important avec un replacement du postérieur gauche), 0 :32 (changement complet de position à deux reprises), 0 :40 (Miette met plus de temps à lever la patte quand le signal gestuel est donné alors qu’elle ne rencontrait aucune difficulté sur les répétitions précédentes)
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