La porte de sortie : Comment donner un degré de liberté acceptable à nos animaux lors de l’entrainement ?

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Un article d’Iris Castaing, instructrice des cours Medical Training 1, Medical Training 2, Medical Training multi-espèces et Fondations sports canins

Nous avons tous à coeur le bien être de nos animaux. Nous sommes aujourd’hui nombreux à vouloir leur donner plus de liberté et de choix dans leur vie quotidienne.

Dans cet article nous étudierons d’abord les notions de liberté et de coercition afin de mieux les comprendre et pouvoir en tirer une application pratique qui donnera un vrai choix à nos animaux lors de leurs entrainements : La porte de sortie.

Voici une video qui résume et illustre cet article :

De quoi parle t-on lorsqu’on souhaite introduire plus de liberté dans la vie de nos animaux ?

Tentatives de définitions de la liberté

Au sein du behaviorisme, la notion de liberté rejette l’idée qu’il s’agit d’une absence totale de contrôle sur notre comportement ou encore la possession du “libre arbitre”. En effet, nos comportements sont influencés par de nombreux facteurs comme notre histoire, nos apprentissages passés, notre génétique, nos hormones, notre environnement…

Cependant, des chercheurs se sont penchés sur la question et ont tenté de définir la liberté dans le cadre de l’analyse appliquée du comportement.

Skinner (1971) par exemple observe que l’on emploie souvent le mot “liberté” pour caractériser une situation où notre comportement n’est pas contrôlé de manière aversive, que ça soit par renforcement négatif ou par punition, de façon immédiate ou différée.

Il soutient aussi que plus un individu aura une connaissance de soi, un self-control et un countercontrol (capacité à s’opposer ou se soustraire au contrôle) élevés, plus il sera à même de réduire les conséquences aversives et, par conséquent, plus il sera libre.

D’autres comme Catania (1980), Baum (2017) ou Goldiamond (1965) apportent un éclairage complémentaire et relient la notion de liberté à la notion de choix.

Goldiamond propose une formulation de la notion de liberté particulièrement intéressante.

Et si la liberté était une question de choix ?

Choix véritables, conséquences critiques et coercition

La liberté est définie en terme de “choix véritables” disponibles. Plus un individu aura de choix véritables qui s’offrent à lui, plus il sera libre.

Pour être considéré comme choix véritable, les comportements alternatifs doivent être possibles “équitablement”.

Ainsi si vous avez des compétences dans la restauration mais qu’il n’y a pas de restaurant dans votre lieu de vie, vous ne pouvez pas exercer ce choix afin de pouvoir gagner votre vie. On ne peut donc pas considérer que travailler dans un restaurant est un véritable comportement alternatif et constitue un choix disponible dans ces conditions.

De même, si il y a de nombreux restaurants proposant des emplois autour de chez vous mais que vous n’avez pas les compétences pour travailler dans ce domaine alors ce choix n’est pas non plus ouvert à vous.

Les conséquences critiques sont celles qui lorsqu’elles sont liées à n’importe quel comportement ont un controle puissant sur ce dernier, montrant une haute valeur de renforcement quand elle est ajoutée (exemple : la nourriture pour un individu affamé) ou enlevée (exemple : choc électrique de forte intensité).

Selon les conditions les conséquences peuvent devenir plus ou moins critiques. Par exemple, si il fait chaud et que vous avez couru, un verre d’eau aura une plus forte valeur que le même verre d’eau en plein hiver après avoir déjà bu un thé. On appelle opération de motivation les conditions qui changent la valeur d’un renforçateur/punisseur ainsi que la fréquence des comportements qui y sont liés.

Si vous n’avez qu’une seule possibilité pour obtenir cette conséquence critique, alors le degré de coercition est sévère.

Plus la conséquence sera vitale, plus elle sera critique. Et plus elle sera critique et plus le risque de coercition sera important.

Pour qu’il y ait la possibilité d’un véritable choix il faut donc avoir l’opportunité de cette alternative, la compétence afin de pouvoir l’exercer ainsi que l’accès à la même conséquence critique pour chacune des alternatives.

Comprendre la notion de degrés de liberté.

Plus de degrés de liberté, moins de degrés de coercition

La liberté est envisagée comme une conception scalaire ( exemple : Paul est plus libre que Pierre) plutôt que comme un statut absolu (exemple : Paul est libre / Pierre n’est pas libre).

Ainsi, la liberté n’équivaut pas à une absence de coercition, mais plutôt à une réduction de la coercition au travers de l’augmentation des réponses alternatives disponibles. Il existe alors des degrés de liberté.

[…] la liberté n’équivaut pas à une absence de coercition, mais plutôt à une réduction de la coercition au travers de l’augmentation des réponses alternatives disponibles

Iris Castaing

Le degré de liberté est égal au nombre d’alternatives moins 1 : DL = N – 1

Imaginons que vous vivez dans un lieu où vous pouvez travailler soit dans la restauration, soit dans les vignobles. Vous avez alors le choix entre 2 activités pour gagner un salaire. On dira alors que vous avez un degré de liberté de 1 d’après Goldiamond. (2-1 = 1)

Avec la crise sanitaire que nous rencontrons en ce moment le secteur d’activité où vous travaillez depuis toujours qui est la restauration est contraint de fermer.

Vous trouvez un emploi dans le milieu agricole comme faire les vendanges afin d’obtenir un salaire qui permettra de subvenir à vos besoins. Est-ce alors un vrai choix de travailler dans les vignes ? Ou êtes vous contraint de devoir exercer ce métier qui est d’une grande pénibilité physique mais qui est votre seule option pour pouvoir manger à la fin du mois ?

Votre degré de liberté est alors de 0 (1-1 =0) et le degré de coercition est maximal car votre survie en dépend (conséquence critique).

On comprend ainsi que le renforcement positif (obtention d’un salaire pour assurer la survie) peut également être coercitif.

Plus le nombre de choix véritables est important, plus le degré de liberté est important et moins le degré de coercition est élevé.

On peut entrevoir que ce sujet au delà d’une tentative de définition scientifique de la liberté pose également des questions éthiques, sociologiques, philosophiques…

Les entrainements en renforcement positif peuvent-ils être coercitifs ?

“Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités”

Si certains auront reconnu cette phrase tirée de Spiderman, elle est tout à fait à propos concernant nos animaux.

Pour la plupart de nos animaux de compagnie, c’est nous qui contrôlons l’accès à quasiment toutes les conséquences critiques : la nourriture, l’eau, les contacts sociaux, la disponibilité et le type de couchage, leur lieu de vie, la possibilité de se déplacer, de se reproduire, d’aller faire leurs besoins…

On comprends donc que le risque de coercition est très élevé car nous pouvons à la fois contrôler la valeur des renforçateurs (rendre les friandises plus attrayantes en déprivant l’animal de nourriture par exemple) et contrôler les conditions d’accessibilité à ces renforçateurs (“tu ne mangeras que si tu fais cet exercice”). Un entrainement en renforcement positif dans ces conditions peut donc tout à fait être coercitif sans pour autant qu’on ait utilisé de stimulus aversif !

Prenons l’exemple des soins coopératifs. Nos chiens peuvent obtenir un renforçateur s’ils acceptent le soin en nous donnant leur feu vert et en restant en position.

Et ils peuvent obtenir l’arrêt des soins s’ils quittent la position. Leur seul moyen d’obtenir un renforçateur durant l’entrainement est donc d’accepter le soin.

Ils ont 0 degré de liberté d’après Goldiamond. (1-1 = 0).

Dans ce cas, plus le renforçateur aura de valeur (plus la conséquence sera critique) et plus l’animal risque d’être forcé à subir le soin qui peut être aversif.

Heureusement, il y a des moyens de limiter le degré de coercition lors de nos entrainements.

Comment offrir un choix véritable à nos animaux en entrainement ?

 Le concept de “Porte de sortie”

Pour diminuer le degré de coercition de nos entrainements nous pouvons dans un premier temps diminuer la valeur critique du renforçateur : donner l’accès à cette ressource dans son quotidien de manière suffisante pour que l’animal n’en soit pas déprivé et qu’il ne dépende pas de l’entrainement pour y avoir accès.

Cependant ces réflexions m’ont poussée à trouver un moyen d’offrir un “véritable choix” à nos animaux au cours de leurs séances d’entrainements pour qu’ils aient au moins 1 degré de liberté, notamment en soins coopératifs.

Pour que l’animal ait un choix véritable durant son entrainement selon Goldiamond il faut donc :

  • Qu’au moins 2 comportements lui permettent d’accèder au même renforçateur.
  • Que l’opportunité d’exercer ce choix soit présente dans l’environnement.
  • Que l’animal ait la compétence d’exercer ce choix (on va donc en général devoir lui apprendre cette compétence et établir un historique de renforcement).

L’idée est qu’il puisse proposer un autre comportement qui lui apportera le renforçateur sans avoir à subir le soin. Ainsi il ne se sentira pas forcé de subir le soin pour accèder au renforçateur. J’appelle cela une porte de sortie.

J’aime utiliser en tant que porte de sortie un comportement de stationning qui a aussi l’avantage de structurer l’entrainement. Mais on peut choisir un autre comportement. On peut l’utiliser en soins coopératifs mais aussi dans n’importe quel type d’entrainement.

L’animal a donc le choix pour obtenir le renforçateur : il peut soit venir en position et recevoir le soin puis obtenir le renforçateur, soit il peut aller sur la station et obtenir le renforçateur. Son degré de liberté au cours de l’entrainement est alors de 1 pour l’obtention de ce renforçateur (2-1 =1).

L’utilisation de la porte de sortie par l’animal donne aussi des informations supplémentaires sur l’état émotionnel de l’animal ainsi que la qualité de mon entrainement notamment de mon plan de désensibilisation. S’il utilise souvent sa porte de sortie, je dose probablement mal la difficulté de l’exercice.

Le coût énergétique du comportement donnant accès à la porte de sortie, l’historique de renforcement sont également des variables à prendre en compte dans sa mise en place.

J’ai utilisé la porte de sortie avec mes propres chiens ainsi qu’avec des centaines d’élèves et des espèces différentes, dans mes entrainements en soins coopératifs mais aussi dans d’autres domaines comme les sports canins. Nous avons pu observer lors des entrainements où on l’utilise, une diminution des comportements de stress, de frustration, d’agressivité, un déblocage de certains apprentissages, une meilleure relation et communication avec l’animal d’après les ressentis de ceux qui l’utilisent.

Vous pourrez visualiser l’utilisation de cette porte de sortie dans la vidéo au début de cet article.

Etudier les notions de liberté et de coercition nous permet de mieux prendre en compte nos responsabilités vis à vis de nos animaux et ce que l’on peut mettre en place pour leur offrir plus de choix et de contrôle sur leur vie. La porte de sortie est une application pratique qui en découle. Elle offre plus de liberté et réduit le degré de coercition lors des entrainements en renforcement positif.

Bon entrainement !

Iris Castaing, Fear Free Certified Professionnal, Certified BAT Instructor
Comportementaliste médiateur pour animaux de compagnie
Ludicanis

Références :

ASAT Conference 2020: Dr. Joe Layng – Coercion without aversive stimuli – equine clicker training (wordpress.com) : https://equineclickertraining.wordpress.com/2020/02/26/asat-conference-2020-dr-joe-layng-coercion-without-aversive-stimuli/

(PDF) Expanding the Behavior-Analytic Meanings of “Freedom”: the Contributions of Israel Goldiamond (researchgate.net) : https://www.researchgate.net/publication/330099270_Expanding_the_Behavior-Analytic_Meanings_of_Freedom_the_Contributions_of_Israel_Goldiamond

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Le medical training, appelé aussi husbandry training, entrainement médical ou soins coopératifs, a pour but d’entrainer les animaux à se faire soigner volontairement. C’est un choix éthique et pratique. Il est très largement utilisé dans les parcs zoologiques pour soigner les animaux sauvages tout en évitant anesthésies, contentions, stress et fait partie des programmes d’enrichissements de la vie quotidienne.

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Parfois lorsqu’on a un chiot et que l’on souhaite partager avec un lui un sport, on se demande ce que l’on pourrait lui apprendre en attendant que sa croissance soit terminée et qu’on l’on puisse démarrer les apprentissages du sport lui même. Ce cours s’adresse à tous ceux qui souhaitent se lancer dans un sport canin.

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