Frans de Waal.
Le 1er octobre 2022, à l’université Paris Nanterre, lors du congrès Pet Revolution, dédié aux animaux de compagnie, le professeur Frans de Waal, éthologue et primatologue de renommée mondiale, est venu nous parler des émotions animales et ce qu’elles révèlent de nous.
Frans de Waal, écrivain prolifique, interpelle, interroge et perturbe les pensées. Le magazine Time l’a inscrit en 2007 sur la liste des « 100 personnalités les plus influentes du monde actuel » et la revue Discover parmi les « 47 plus grands esprits de la science » (de tous les temps) en 2011.
Ses livres, dont les derniers :
- « Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ? » ;
- « La dernière étreinte »- ;
- et maintenant – « Différents. Le genre vu par un primatologue »-,
nous montrent combien l’étude des animaux nous aide à mieux comprendre l’humain, un animal parmi les autres.
Frans de Waal nous a raconté la dernière étreinte de Mama (en 2016), la matriarche du groupe de chimpanzés vivant au zoo d’Arnhem, au Pays-Bas.
La diplomate, comme Frans de Waal la décrit, était mourante. Elle avait 59 ans. Jan Van Hooff, a observé et étudié le groupe de chimpanzés pendant de nombreuses années et connaissait Mama depuis plus de 40 ans. Jan van Hooff ayant 80 ans à ce moment-là, a décidé de rentrer dans l’enclos de nuit de Mama pour faire ses adieux.
Cette rencontre a été filmé. La vidéo à été vu plus de 200 millions de fois dans le monde. Elle est très émouvante car on y voit Mama montrer un grand sourire de joie en retrouvant Jan van Hooff et on la voit également rassurer son « observateur de longue date ». Elle le rassure en tapotant sa nuque, un comportement normal entre chimpanzés, souvent observé quand ils cherchent à calmer un petit qui geint. Frans de Waal et Jan Van Hooff pensent qu’elle cherchait à le rassurer le sentant stressé. Stressé, car on ne rentre jamais dans un enclos de chimpanzé adulte. C’est dangereux. Les chimpanzés sont beaucoup plus forts que les humains. Dans son livre La dernière étreinte, p.25 Frans de Waal écrit d’avoir demandé à Jan van Hooff s’il oserait entrer dans une cage d’un autre chimpanzé du zoo, un de ceux qu’il connaissait depuis presque aussi longtemps que Mama. Jan van Hooff a répondu que c’était hors de question, qu’il tenait beaucoup trop à sa vie.
Vous pouvez voir cette dernière étreinte et entendre les commentaires de Frans de Waal dans cette interview de François Bunel lors d’une émission de La Grande Librairie en 2018.
C’est cette scène émouvante qui a inspiré à Frans de Waal à donner le titre de son livre sur les émotions animales, « La dernière étreinte ».
Les émotions et les sentiments
Tout d’abord clarifions la différence entre sentiment et émotion.
Les sentiments sont des états intérieurs subjectifs qui ne sont connus que de celui qui les éprouve. Les sentiments se communiquent par le langage.
Les émotions, elles, sont des états du corps et de l’esprit qui induisent un certain comportement. Déclenchées par certains stimuli et accompagnées par des changements de comportements, elles sont repérables de l’extérieur d’après l’expression du visage, le teinte de la peau, le timbre de la voix, tel geste, telle odeur et ainsi de suite. Vous devez prendre conscience de ces modifications pour qu’elles deviennent des sentiments. C’est pourquoi nous montrons nos émotions, mais nous parlons de nos sentiments. (La dernière étreinte, p12-13.)
Lors de sa présentation, Frans de Waal nous décrit l’évolution de l’étude des émotions animales avec :
- Darwin, qui publiait en 1872 « L’expression des émotions chez l’homme et les animaux. »
L’étude des émotions passait par l’observations des visages des humains et des primates. (Les chimpanzés comptent autant de muscles faciaux que les humains.) - Paul Ekman, un psychologue américain, un des pionniers dans l’étude des émotions liées aux expressions faciales, affirme que les expressions du visage ne sont pas déterminées par la culture, mais qu’elles sont universelles. En 1971 il définit une première liste de 6 émotions de base dont la colère, le dégoût, la peur, la joie, la tristesse, la surprise et le mépris. Frans de Waal pense que la liste est incomplète et que des émotions comme l’amour, l’espoir et la jalousie devraient en faire partie.
- Jan van Hooff, spécialiste des expressions faciales, étudiait le rire et le sourire. (Il était le directeur de thèse doctorale de Frans de Waal)
Frans de Waal raconte que pendant les années 60-70, les personnes qui étudiaient les émotions parlaient beaucoup d’agression. Lui, étudiait et parlait de la réconciliation. Il a été critiqué pour l’utilisation de ce terme, considéré comme une expression antropomorphique. Au lieu d’utiliser le terme réconciliation, on préférait l’utilisation de « contact après conflit ».
Dans La dernière étreinte, p.139, il écrit :
« Je sais que les scientifiques cherchent à être aussi objectifs que possible, mais je réclame le droit à la différence de ce point de vue. La seule chose que nous ai apportée cette objectivité rêvée, c’est une vision mécaniste et froide des animaux, qui passe à côté de leurs émotions. Plusieurs pionniers importants de l’étude de comportement (Kinji Imanishi, Konrad Lorenz) refusaient cette approche et préféreraient souligner le besoin d’identification et de proximité avec nos sujets. »
En 1997 Frans de Waal invente le mot anthropodéni :
« l’aveuglement volontaire aux caractéristiques humaines des animaux, ou aux caractéristiques animales de nous-mêmes. Dès que nous admettons que les animaux ressemblent beaucoup plus à nos parents qu’à des machines, alors l’anthropodéni devient impossible et l’anthropomorphisme devient inévitable – et scientifiquement acceptable…
… mais pour cela il faut le voir comme un moyen plutôt qu’une fin. Notre objectif ne devrait pas être de trouver une qualité chez un animal qui soit précisément équivalente à un aspect de notre propre vie intérieure. Nous devrions plutôt utiliser le fait que nous ressemblons à des animaux pour développer des idées que nous pouvons tester.
( Discover magazine : Are we in anthropodenial ?)
C’est ce que Frans de Waal a fait pendant toute sa carrière : observer, étudier les comportements d’animaux et les comparer entre espèces.
Lors de sa présentation il explique et illustre les résultats d’études concernant les émotions.
Quelques exemples :
Écouter (ou lire) Frans de Waal pousse à prendre du recul et considérer la vie animale et humaine sous un angle plus empathique.
Frans de Waal continue à provoquer des débats et critiques, très utile, pour mieux comprendre et accepter le monde animal, comprenant l’animal humain.
Son dernier livre, Différents. Le genre vu par un primatologue, en est la preuve.
Le terme genre est inventé par John Manning, un sexologue. Il l’a emprunté à la grammaire et l’utilise pour parler des personnes qui se sentent de l’autre sexe. C’est un terme qui permet de parler de la diversité « masculin(e)-féminin(e) » (note : comment faire pour utiliser un neutre ici ? ) sans utiliser des mots négatifs. https://www.youtube.com/watch?v=wlcnF4sUjU8
Frans de Waal compare de nouveau les espèces pour parler de genre, en distinguant une face culturelle et une face biologique.
Le livre est passionnant comme les précédents et on peut suivre une partie des discussions qu’il engendre sur la page Facebook publique de Frans de Waal et cette vidéo d’une interview de « The Psychology Podcast » :
https://www.facebook.com/franspublic
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