Je dis non.
Que la foudre s’abatte sur moi. Car oui, je dis non.
Quand une femelle est en chaleur dans mon village, que Marley, mon chien, a le cœur tout mou et les hormones qui le chatouillent et qu’il essaye de passer ses envies sur José, le cochon, je dis non.
Quand José essaye d’arracher un pied de lavande que je viens tout juste de planter, je dis non.
Quand Luna ou Tia, les perroquet(te)s, s’approchent d’une prise pour la décrocher, je dis non.
Il y a quelques années, j’ai écrit un article nommé « Mon nom est non », qui met en garde quant à l’utilisation du mot « non » comme une méthode absolue d’éducation.
Mais oui, il m’arrive de dire non.
Je sais que ce minuscule petit mot de 3 lettres peut créer d’immenses débats dans le monde de l’éducation animale.
Par ces quelques lignes, je vais tâcher d’expliquer les différentes nuances de non que j’observe.
Dans le cadre de mon travail de consultante en comportement, je suis amenée à me rendre chez des familles qui rencontrent un problème de comportement/de communication avec leurs chiens, chats et/ou perroquets.
Mon job est de les aider à faire face à ces comportements, tout en respectant leur bien-être physique et émotionnel et celui de leurs compagnons, en m’appuyant principalement sur l’analyse du comportement appliquée, qui est l’application factuelle de la technologie du changement de comportement, ainsi que sur d’autres « sciences sœurs », comme Dr Friedman les nomme si justement, telle que l’éthologie.
La science est-elle favorable au NON ?
Si la science nous démontre des lois et principes, elle ne porte aucun jugement sur ceux-ci. Ainsi, nous connaissons le fonctionnement des renforcements et punitions, leur effet sur les comportements, les effets secondaires qui en découlent, et c’est à nous de « décider », en fonction de nos connaissances, compétences et de notre expérience, des procédures que nous allons mettre en place pour modifier la fréquence d’un comportement, avec considération, respect et éthique.
De nombreuses études ont démontrées les effets néfastes de la punition dans la modification comportementale.
Par définition, en analyse appliquée du comportement, la punition est une conséquence qui se produit après un comportement, qui sert à diminuer la probabilité que ce comportement se reproduise à nouveau.
Le renforcement, quant à lui, est une conséquence qui se produit après un comportement, qui sert à augmenter la probabilité que ce dernier se reproduise à nouveau.
Nous tous, animaux humains ou non-humains, sommes soumis à de multiples renforcements et punitions dans notre quotidien.
Lors de mes interventions chez mes clients et dans l’éducation de mes propres animaux, j’essaye tant que possible de jamais avoir recours à la punition dans le cadre d’un protocole de modification comportementale. A la place de faire diminuer la fréquence d’un comportement indésirable, j’oriente mon travail sur la création ou l’augmentation de nouvelles compétences, afin de voir les bons comportements augmenter au quotidien.
Punition positive et punition négative
En science du comportement, nous dissocions deux types de punition : la punition négative et la punition positive.
Le terme « positif » implique l’ajout d’un stimulus après l’émission du comportement ; quant au terme « négatif », il fait référence au retrait d’un stimulus après l’émission du comportement.
Voici quelques exemples de stimuli qui peuvent être ajoutés ou retirés de l’environnement d’un individu après l’émission d’un comportement :
Friandises
Pichenette
Jouets
Coup de papier journal roulé
Caresses
Choc électrique
Des paroles (chuchotement ou félicitations enjouées, tons agréables ou engueulades)
Pulvérisateur d’eau
Gamelle de nourriture
Personnes inconnues
Etc
Chacun de ces stimuli peut être ajouté ou retiré après un comportement.
Est-ce que dire NON est une punition ?
En se référant au tableau ci-dessus, on pourrait rapidement s’imaginer que l’utilisation du mot « non » après un comportement fait référence à une punition positive.
Et pourtant… Si ça peut effectivement parfois être le cas, ça ne l’est souvent pas.
Pour que ce mot en lui-même agisse comme un punisseur, il faut qu’il ait un effet observable et mesurable sur la fréquence future du comportement après lequel il est prononcé (une diminution de la fréquence).
Exemple : si mon chien creuse dans le jardin et que je dis NON, l’effet d’une procédure de punition ne sera pas uniquement que mon chien arrête d’émettre son comportement de creuser *à cet instant*, mais que la fréquence globale future de ce comportement diminue considérablement.
Dans la plupart des cas, ce n’est pas l’effet observé lorsque le mot non est prononcé après un comportement.
Le non comme un interrupteur de comportement
L’IRRD (Interruption de la Réponse et Redirection) est une pratique qui se découpe en deux parties pour diminuer la fréquence d’apparition d’un comportement.
La première partie « l’interruption » a pour objectif d’empêcher l’individu de s’engager dans le comportement problématique. La seconde partie « la redirection » vise à inciter l’individu à s’engager dans un comportement alternatif plus approprié, qui sera renforcé.
Dire NON à son animal peut donc être une partie d’IRRD à condition d’ajouter le deuxième composant de la procédure, qui est la redirection vers un comportement alternatif, de préférence ayant la même fonction que le comportement initial.
Est-ce que le NON pourrait être au contraire un renforcement ?
Vous êtes à la maison, en télétravail et Pitchou, votre perroquet Amazone commence à faire des petits bruits d’imitation de micro-ondes. Vous lui dites NON. Dans la foulée, Pitchou commence à crier. Vous lui dites NON. A peine quelques secondes après, Pitchou hurle tout son répertoire. Et plus vous lui dites NON et plus Pitchou s’époumonne.
Le NON aura alors eu comme impact d’augmenter la fréquence et la force d’apparition des comportements de cris de Pitchou. C’est ce qu’on appelle une procédure de renforcement positif.
Apprendre le NON comme comportement de connexion
Très souvent, nous utilisons le mot NON dans des situations d’urgence où l’animal doit impérativement interrompre son comportement car il se met lui-même ou met les autres en danger (courir vers une route, vers un taureau dans un pré, manger des piles, etc).
Si le mot non a mauvaise réputation chez les humains, à force d’associations désagréables depuis notre enfance, il n’a pourtant initialement aucune connotation pour nos animaux de compagnie.
Que l’on décide de nommer un signal « NON », « jambon », « Alphonse » ou « Blibloup » ne fait aucune différence en termes d’éducation.
C’est notre rôle, à nous, propriétaires d’animaux, d’associer un ou une série de comportements à ce mot, comme pour tous les autres signaux, tels que assis, viens, descend, etc.
Nous pourrions donc très bien associer le signal « non » au comportement « regarde-moi » ou encore « reviens vers moi ».
Le NON, un réflexe d’humain ?
Et puis parfois, simplement, le mot NON est le premier mot qui nous vient en bouche quand nous souhaitons que l’individu en face de nous arrête ce qu’il est en train de faire.
Nous sommes humains, soumis aux mêmes lois et principes fondamentaux de l’analyse du comportement que tous les autres animaux. Notre propre historique de renforcement forge nos comportements actuels et futurs.
Si nous savons que dire NON peut avoir un effet concret sur le comportement d’autrui (parce que nous l’avons vu fonctionner chez d’autres ou parce que nous avons-nous-mêmes obtenus de bons résultats avec cette stratégie), alors nous allons avoir tendance à répéter ce comportement, même si nous voudrions réagir autrement.
Dire NON fait-il de nous des méchants ?
Non, définitivement, non. De par notre éducation, notre société, nos rapports avec d’autres espèces que la nôtre, je pense non seulement que dire NON n’est pas une tare ingrate et honteuse qu’il faut absolument modifier, mais qu’en plus il est probablement impossible de réellement s’en défaire.
Par NON, j’inclue également les « hun hun », « tss tss », et autres « ça suffit maintenant », « stop », « je vais tous vous abandonner et partir sur une île déserte si ça continue », qui ont tous le même objectif : nous offrir un instant de répit lorsque l’individu en face de nous émet un comportement que nous considérons problématique.
Je suis absolument convaincue que toutes les personnes qui vivent avec un animal ont au moins une fois prononcé ces mots, ou similaires (à la montagne au lieu de l’île déserte, peut-être).
Ça ne fait pas de nous des monstres et pour une immense majorité des personnes qui disent non de temps en temps à leurs animaux, il y a des milliards de moments d’affection, de oui, d’amour, de training, de promenade, de création d’enrichissements, de tendresse, etc.
Alors, on peut juste dire NON ?
Utiliser le mot NON peut avoir un tas de nuances différentes, il peut être parfois lié à une procédure de punition positive, parfois à une procédure de renforcement positif, parfois être un interrupteur, parfois être inutile, parfois être un signal, un réflexe et probablement encore un tas d’autres choses, en fonction de notre compréhension des lois et principes fondamentaux de l’analyse du comportement, de l’effet que le mot a sur le comportement, etc.
Si j’admets utiliser le mot NON de temps en temps pour interrompre un comportement problématique chez moi, je ne m’arrête quasiment jamais à sa simple utilisation.
En règle générale, l’utilisation du mot NON va être chez moi directement associée à deux réflexions :
- Comment faire pour que le comportement de mon animal n’ait plus l’occasion d’apparaître
- Comment favoriser un autre comportement
Arrivent ici les arrangements d’antécédents.
Pour un non, cent oui
En sachant que les comportements sont dépendants de l’environnement, parfois, pour modifier au mieux le comportement d’un animal, modifier l’environnement est la clé.
Il s’agit ici d’arranger l’environnement pour « bloquer le mauvais comportement » ou le rendre moins accessible, et en parallèle de promouvoir un « bon » comportement.
Le “management de l’environnement” prévient l’apparition du comportement indésirable, pour laisser place à un bon comportement.
Si nous en venons à dire non, c’est que l’environnement appelle le comportement et que celui-ci a l’occasion d’être émis.
Pour éviter de devoir dire non, la première réflexion sera alors de modifier l’environnement pour que le comportement indésirable n’ait pas l’opportunité d’apparaître.
Exemples :
– séparer le chien et le cochon quand le chien est sexuellement activé
– mettre du grillage autour du pied de lavande fraîchement planté
– mettre un cache prise pour que les oiseaux n’y aient pas accès, etc.
Pas de « mauvais » comportement = pas de non !
Dans un second temps, on peut (si on le souhaite et/ou si nécessaire), travailler sur l’apprentissage de nouveaux bons comportements que nous allons immensément renforcés, pour qu’ils deviennent les premiers comportements émis lorsque l’environnement signalera l’opportunité de se comporter.
Exemples :
- Apprendre au chien à garder les 4 pattes au sol lorsqu’il passe à côté du cochon
- Apprendre au cochon à contourner le jardinet où les pieds de lavande sont plantés
- Apprendre aux perroquets à décrocher des prises *pour perroquets* et à ignorer les prises murales, etc.
Conclusion
Dire NON *peut* être problématique et *peut* être évité.
D’autres stratégies nous sont disponibles pour mieux gérer l’éducation et la modification de comportements problématiques chez nos animaux de compagnie.
Néanmoins, il existe des instances où le fait de dire NON n’est pas si dramatique et ne mérite pas le bûché :
- Lorsqu’il est utilisé pour interrompre un comportement dangereux pour l’animal ou les individus autour
- Lorsqu’il est utilisé comme signal et que le comportement correspondant est renforcé
- Lorsqu’il est plutôt dit comme réflexe de la part de l’humain et n’a pas d’influence sur le bien-être émotionnel de l’animal
Les cas où le NON ne devrait pas être utilisé, selon moi, sont les suivants :
- Lorsqu’il est prononcé pour déstabiliser, faire peur, intimider l’animal
- Lorsqu’il est utilisé avec comme ambition de le faire agir comme punisseur
- Lorsqu’il est utilisé comme méthode d’éducation
En effet, dire « non » au chien qui aboie, vole, fuit, tire en laisse, grogne, saute, ne lui apprendra jamais quel est le bon comportement à avoir face à l’environnement.
Dans le même principe, vous dire « non » si votre réponse à l’équation 4(2x-1)(3-5x)=3/4-3x² n’est pas la bonne ne vous apprendra pas à parvenir au bon résultat.
De la même manière que nous ne continuerions pas définitivement à utiliser un médicament qui ne nous soigne pas, dire NON à longueur de journée à nos animaux en ayant l’impression que personne ne nous écoute n’est probablement pas la meilleure stratégie pour les éduquer.
Si nous devons répéter ce « non » sans arrêt à notre animal et que son comportement continue tout de même, c’est que ce n’est pas le bon médicament !
Finalement, le débat ne devrait pas tellement être de savoir s’il est dangereux, coercif, méchant, pas bien, nul, d’utiliser le mot non, mais plutôt de comprendre comment éviter d’y avoir recours dans l’éducation générale de nos compagnons.
Au lieu de nous focaliser sur les comportements indésirables de nos animaux, nous devrions mettre toute notre énergie à profit pour aménager leur environnement et renforcer leurs bons comportements, car si le « non » peut stopper un comportement sur le coup parfois, il va souvent à l’encontre de notre objectif final qui est de leur apprendre, de façon pérenne, les comportements à émettre pour une vie en harmonie dans notre société ; sans jamais oublier évidemment, que les chiens sont des chiens avec des comportements de chiens et que de souvenir qu’ils en sont, reste la plus belle façon de leur offrir une jolie vie à nos côtés.
Réponses
Super! Ça décomplexe…